Karrer vit depuis des années coupé du monde. Il passe ses journées à errer dans la ville désœuvrée, sous la pluie battante, et à observer ses habitants. Le soir venu, il se rend au Titanik Bar où se produit une séduisante chanteuse avec laquelle il entretient une liaison. Lorsque le tenancier du bar, Willarsky, lui propose de convoyer de la drogue afin de gagner un peu d’argent, Karrer lui suggère à la place d’employer le mari de la chanteuse. Il compte profiter de l’absence de ce dernier pour passer un peu de temps auprès de sa maîtresse…
Première partie de la « trilogie démoniaque » (avant Sátántangó et Les Harmonies Werckmeister), Damnation marque un tournant dans l’œuvre de Béla Tarr. L’auteur y fait son entrée dans ce qu’il nomme la part « cosmique » de son cinéma. Il abandonne les couleurs expressionnistes de son précédent opus, Almanach d’automne, et revient au noir et blanc dont il fait un élément fort de sa nouvelle esthétique. Damnation nous présente quatre personnages, des êtres solitaires et souvent veules. Ainsi, le principal d’entre eux, Karrer, ne parvient pas à conquérir son amante ni à agir pour s’enrichir, mais trahira beaucoup. Pourtant l’intrigue n’intéresse que peu Béla Tarr, il la relègue au second plan. Le décor joue désormais un rôle clé dans son cinéma, tout comme les fameux plan-séquences du film.
Nous entrons dans une sorte d’hypnose prolongée. Karrer le dit : « Je ne m’accroche à rien, mais tout s’accroche à moi ». Et sans doute est-ce, comme l’a souligné Jacques Rancière, la méthode que se donne le cinéaste : montrer un environnement qui « accroche » ses personnages. Il filme les pluies battantes, les flaques de boue, le brouillard, les murs fissurés, les terrains vagues et les plaines industrielles, des paysages dévastés. Béla Tarr invente ainsi un cinéma radicalement sensible, qui montre la déréliction d’un monde et vient hanter le spectateur avec ses charmes noirs.
– Pauline de Raymond pour la Cinémathèque Française.
« Arnaud, c’est mon petit frère. Un jour, je me suis rendu compte qu’il était déjà grand. Il est né là où on ne choisit pas, et cherche ce qu’il aurait dû être. Libre.«
Les premières images datent de 2005. Laure filme Arnaud, son petit frère. Ils ont huit ans d’écart, et n’ont pas le même père, ils appartiennent à deux milieux différents. Sur plus d’une décennie, Soy Libre raconte la quête d’émancipation d’Arnaud, mais aussi une relation entre un frère et une sœur, faite de confrontations qui s’expriment dans et par le film. Dans le projet commun de réalisation que Laure Portier inaugure, Arnaud prend rapidement en charge ses propres images, en mesure de définir lui-même qui il est, et où il veut aller ; et si les seuls plans larges du film sont du fait d’Arnaud, cela en dit long sur le besoin d’espace et d’horizon qui le guide. Une manière de prendre le pouvoir sur sa vie, qu’il semble adresser à sa sœur autant qu’à lui-même, redonnant à la relation filmeuse-filmé une plus grande horizontalité. En retour, Laure Portier fait de Soy Libre un puissant hommage à Arnaud, à sa quête irrépressible de bonheur et de liberté
– Chloé Vurpillot, Chargée de programmation de Tënk
également connu sous le titre Up in Smoke.
Anthony Stoner, joueur de batterie amateur et gros fumeur de joints, fuit le domicile familial et prend la route à la recherche de marijuana. Après être tombé en panne, il rencontre Pedro de Pacas qui l’embarque dans son van direction le Mexique, à la recherche de la meilleure herbe du monde…
Deux fumeurs d’herbe invétérés s’emparent d’une camionnette au Mexique et filent jusqu’à Los Angeles sans se douter que le véhicule est rempli de cannabis… Premier long-métrage du duo culte Cheech & Chong (notamment aperçus dans After Hours de Martin Scorsese), Up in Smoke marque un tournant dans l’histoire de la comédie américaine : c’est le tout premier stoner movie, un film entièrement centré sur deux anti-héros joyeusement camés, embarqués dans une odyssée aussi absurde que fumante. Réalisé par Lou Adler (le même qui a produit le Rocky Horror Picture Show), le film capte avec humour l’esprit de contre-culture post-Vietnam, entre désillusion, contestation douce et fumette revendiquée. Avec sa BO rock psyché, ses vannes absurdes et ses punchlines devenues cultes, Un in Smoke est autant un trip comique qu’un témoignage d’une époque où les losers magnifiques prenaient le pouvoir… en riant.
Gagné par un fermier à une foire, un jeune cochon apprend à garder les moutons en compagnie de la chienne qui le prend sous son aile. Il décide de devenir « cochon de berger ».
Chacun se pose des questions existentielles, et la gent animale se révèle souvent plus expressive que les humains. Babe est une fable délicieusement humoristique, qui débouche sur une morale pas « bête », délivrée par un porcelet non violent dans le ballet final, un des clous du spectacle. Les images de ce film sont un régal.
– Télérama
Sans emploi et endettée jusqu’aux dents, Armande Pigeon, 26 ans, galère à Bruxelles. Par-dessus le marché, elle a un gros penchant pour le jeu et n’hésite pas à prendre des risques, car pour Armande, tous les paris sont bons. Tous sauf un, peut-être le plus fou auquel elle peine encore à se risquer : le pari de l’amour.
Cap ou pas cap ? Faites rire avec un film ancré dans son époque sans céder aux facilités convenues, le portrait d’une jeune femme d’aujourd’hui sans recours aux clichés auxquels le cinéma nous a trop souvent habitués, une comédie fourmillant de trouvailles qui transpirerait la bonne grosse lose qui colle au corps sans tomber dans le misérabilisme. Il fallait sans doute des Belges pour relever ce pari. Aimer perdre en est la réponse pleine de promesses.
– Boris Bastide pour Le Monde
Un cancre invétéré, Ferris Bueller, convainc sa petite amie et son meilleur ami hypocondriaque (dont le père a une Ferrari) de sécher les cours pour aller passer la journée à Chicago. Pendant qu’ils font les 400 coups dans la grande ville, le proviseur et la soeur de Ferris tente, chacun de leurs côtés, de prouver aux parents que leur fils est un cancre et qu’il a séché.
La couleur est vive, le cadre habile, le montage élégant, les mouvements chorégraphiques, et les acteurs d’une plastique parfaite – Matthew Broderick, dont on réalise ici à quel point il a été ensuite sous-exploité, incarne la grâce adolescente éclatante, une séduction irrésistible à laquelle tout semble céder avec une insolente facilité. L’espace, le temps, le film même, Ferris modèle et s’approprie tout, nous les premiers.
– Lucile Commeaux pour France Culture
Leslie et Renard, deux jeunes glandeurs de banlieue parisienne, trouvent un mystérieux objet sur un chantier de la future ligne de métro du Grand Paris. Artefact, talisman antique, ou relique d’une civilisation disparue ? Persuadés d’avoir trouvé la poule aux œufs d’or, les deux amis mènent l’enquête, avec les moyens du bord, le temps d’une folle nuit aux quatre coins de l’Île de France.
L’épopée de deux glandeurs à travers l’Île-de-France. En Indiana Jones de la Grande Couronne, Mahamadou Sangaré et Martin Jauvat réinventent la comédie française bricolée.
– Télérama
Tout le monde a toujours aimé Jeanne. Aujourd’hui, elle se déteste. Surendettée, elle doit se rendre à Lisbonne et mettre en vente l’appartement de sa mère disparue un an auparavant. À l’aéroport elle tombe sur Jean, un ancien camarade de lycée fantasque et quelque peu envahissant.
Inventeuse au creux de la vague, Jeanne dérive. Jusqu’à ce qu’elle rencontre le fantasque Jean… Un premier film attachant, entre blues et fantaisie.
– Télérama
Après une dizaine d’années de non-productivité, Orel et Gringe, la trentaine, galèrent à écrire leur premier album de rap. Leurs textes, truffés de blagues de mauvais goût et de références alambiquées, évoquent leur quotidien dans une ville moyenne de province. Le problème : impossible de terminer une chanson. À l’issue d’une séance houleuse avec leurs producteurs, ils sont au pied du mur : ils ont 24h pour sortir une chanson digne de ce nom. Leurs vieux démons, la peur de l’échec, la procrastination, les potes envahissants, les problèmes de couple, etc. viendront se mettre en travers de leur chemin.
Comment c’est loin c’est aussi, et surtout, une comédie sur la procrastination, marque de fabrique du chanteur originaire de Caen, qui a fait de cette ville le théâtre de son long-métrage. « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent à l’heure où je me couche », refrain du titre phare de sa bande originale, semble être son mantra, asséné dans ce film, comme dans la série Bloqué, de la chaîne cryptée, dans laquelle il ne quitte jamais son canapé.
– Ouest France
Un jour, Rango échoue par hasard dans la petite ville de Poussière, dans l’Ouest sauvage, où de sournoises créatures venues du désert font régner la terreur. Contre toute attente, notre caméléon, qui ne brille pas par son courage, comprend qu’il peut enfin se rendre utile. Dernier espoir des habitants de Poussière, Rango s’improvise shérif et n’a d’autre choix que d’assumer ses nouvelles fonctions. Affrontant des personnages plus extravagants les uns que les autres, Rango va-t-il devenir le héros qu’il se contentait jusque-là d’imiter ?
Avec les aventures de ce caméléon mégalomane, Gore Verbinski rappelle qu’il n’est pas un faiseur de blockbuster interchangeable, mais un cinéaste. Son film manie le second degré et l’ironie avec un mordant qui n’entrave jamais ni sa sincérité, ni sa bonne humeur.
– Ecran Large
Hrundi V. Bakshi, un acteur indien, est engagé par un studio hollywoodien pour interpréter un soldat indigène dans un remake de Gunga Din. Faisant preuve d’une terrible maladresse, il fait exploser un coûteux décor. Exaspéré, C.S. Divot, le producteur, demande à ce que le nom de Bakshi soit inscrit sur une liste noire. Mais suite à un quiproquo, le comédien indien se retrouve en fait invité à la soirée annuelle du studio…
Avec sa mine de benêt endimanché, sa voix de dindon en mue, sa démarche de patineur éméché, Peter Sellers dévore le film comme un frénétique feu de Bengale.
– Télérama
A Séoul, Gang-du tient un petit snack au bord de la rivière où il vit avec sa famille, dont sa fille adorée Hyun-seo. Un jour, un monstre géant surgit des profondeurs de la rivière et attaque la foule. Gang-du tente de s’enfuir avec sa fille, mais elle est enlevée brusquement par le monstre, qui disparaît au fond de la rivière. La famille Park décide alors de partir à la recherche de la créature, pour retrouver Hyun-seo…
Baroque, terrifiant, corrosif, burlesque… Voilà toute la richesse de ce film du Coréen Bong Joon-ho, antérieur à Parasite mais lui ressemblant. Une créature formidable y sème la panique, synthèse impressionnante de tyrannosaure et de varan géant. Le mutant visqueux surgit un jour funeste du fleuve Han, en plein cœur de Séoul, dévore quelques malheureux passants sur la berge et repart avec une enfant enroulée dans sa longue queue reptilienne. La suite réclame des héros. Ceux que le réalisateur choisit partent largement perdants. Composée, entre autres, d’un jeune père ahuri et d’un oncle chômeur souvent ivre, la famille lancée à la recherche de la gamine est une tribu de branquignols.
– Télérama
Angela, assistante de production, parcourt la ville de Bucarest pour le casting d’une publicité sur la sécurité au travail commandée par une multinationale. Cette « Alice au pays des merveilles de l’Est » rencontre dans son épuisante journée : des grands entrepreneurs et de vrais harceleurs, des riches et des pauvres, des gens avec de graves handicaps et des partenaires de sexe, son avatar digital et une autre Angela sortie d’un vieux film oublié, des occidentaux, un chat, et même l’horloge du Chapelier Fou…
Fidèle à son style, Radu Jude présente cette comédie dramatique absurdiste en deux parties. Dans un paysage étourdissant, le cinéma, le capitalisme et la technologie rencontrent la sociologie politique du monde numérique post-totalitaire.
– La Cinémathèque Québécoise.
Wanda Goronski ne supporte plus le milieu misérable où elle vit. Renvoyée de l’usine où elle était employée, elle décide de quitter, son mari mineur et leurs deux enfants, sans se retourner. Commence une errance à travers la ville où Wanda, sans la moindre ressource, finit par s’accrocher à Norman Dennis, un minable commis-voyageur qui arrondit ses fins de mois en volant. Bien que Norman se montre brutal à son égard, Wanda accepte à contrecoeur de le suivre dans sa vie de rapine.
« Barbara Loden, comme on parle d’écriture blanche en littérature, a un filmage blanc, d’où naît soudain l’émotion, crue, à vif. C’est en cela que son style se distinguerait de celui de Cassavetes, qui fait plutôt dans le psychodrame. Dans 50 ans de cinéma américain, Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier écrivent : « Wanda est un film où l’on a froid, où une gifle fait mal longtemps, où l’on a peur d’oublier l’ordre qu’on vous donne. » Wanda est bien cela, un cri de désespoir muet, un autoportrait d’autant plus violent qu’il est retenu, un portrait de femme angoissé et sans concession, une description accablée des exclus du capitalisme. »
– Les Inrockuptibles
La famille Yamada est composée de fortes personnalités… Takashi, le père, est un gentil homme d’affaires un peu bougon qui se bat contre les héros imaginaires de son enfance. Il partage sa vie avec Matsuko, sa femme un peu farfelue et assez fainéante, vite démoralisée par les tâches ménagères. Shige, la grand-mère septuagénaire pleine d’énergie, a la langue bien pendue et ne rate jamais l’occasion de donner son avis. Naboru, le fils en pleine crise d’adolescence, déteste étudier tandis que Nonoko, la petite sœur, a déjà un caractère bien trempé pour son très jeune âge… Même Pocci, le chien de la maison, est lunatique…
Chronique de la vie ordinaire de la famille Yamada, par le maître Isao Takahata pour les studio Ghibli. De saynète en saynète, le quotidien de ces Japonais se mâtine d’une infinie poésie.
– Télérama
Nicolas, fils aîné d’une famille riche sous l’emprise d’une mère redoutable femme d’affaires, passe ses journées dans la grande ville voisine. Il y travaille, loin de son milieu d’origine, comme laveur de carreaux et plongeur dans un bistrot. Parfaitement lucide sur son cercle fermé de snobs cupides, il ne remarque pas du tout la bassesse de ses nouvelles relations : commerçants, petits-bourgeois, jeunes voyous. Comment cette ville va-t-elle accueillir ce fanfaron de Nicolas, nonchalant et crédule ?
Adieu, plancher des vaches ! procure une joie intense, un sentiment d’euphorie qui persiste longtemps après la projection. Peut-être parce que ce film oublie d’en imposer et de s’imposer, qu’il laisse son spectateur libre de choisir ce qu’il veut dans la vaste fresque qui lui est proposée, libre de rêver à d’autres raccords et d’autres collisions, d’imaginer à sa guise d’autres possibles et d’autres combinaisons, libre aussi de laisser quelques données pour mieux en prendre d’autres.
– Les Inrockuptibles